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Brian May et Kerry Ellis à la Cigale
Article by Nicolas Houguet
Brian May en concert… Ce n’était pas la première fois que je renouais en live avec la guitare tant aimée de Queen, célébrant avec ferveur la mémoire de Sa Majesté. Pour autant, une fois encore, je m’y suis laissé entrainé. Cette fois, le solliste à l’immuable chevelure frisée et désormais grisonnante, s’est adjoint les talents de la jeune chanteuse Kerry Ellis, rencontrée alors qu’elle oeuvrait au sein de la troupe de “We Will rock you”, comédie musicale à succès reprenant en son sein le fameux répertoire.
Nous arrivons avec mon frère au terme d’un interminable périple, survivant tant bien que mal aux bouchons parisiens. Un peu déphasés, un brin vidés. On entre sur le côté de la Cigale, belle salle nichée dans le 18ème arrondissement. Par l’entrée des artistes. L’endroit est assez beau, baigné de lumière écarlate, un plafond doré et une allure de théâtre un tantinet décadent. On a des places au balcon, inaccessible pour moi, On passera la première partie au fond de la salle à attendre qu’un siège ou deux se libèrent à l’orchestre. Un jeune chanteur débarque avec sa guitare qu’il tient en gaucher et livre quelques compositions rafraichissantes. Puis la lumière se rallume et on prend enfin place, pas très loin de la scène. Le public est placé avec cérémonie, un peu comme à l’opéra, ce qui entraine une sorte de solennité feutrée qui cadre assez mal avec l’idée que je me fais d’un concert. J’ai peur de trop de calme. Dans la salle, les visages sont la plupart du temps assez jeunes. On voit quelques vieux bedonnants ceintrés dans leurs T-Shirts de Queen probablement vintage, mais dans l’ensemble, la trentaine est triomphante.
Un cartoon étrange apparait sur l’écran en fond de scène. Celle-ci est ornée de longs cierges et de deux tabourets. Puis le noir se fait. Et la foule s’anime dans une ovation assourdissante quand ce cher Brian apparait. Ce qu’il a de touchant, à chaque fois que je l’ai vu (la première fois doit dater de 1993, quand il assurait la première partie des Guns N’Roses), c’est le plaisir manifeste qu’il a à être là. Il s’installe, salue le public extatique, présente sa comparse et les voilà partis. Doucement d’abord. Il présente la cause des animaux qu’il veut défendre, notamment au travers de l’association “Born free”, contre la chasse aux lions en Afrique. J’avoue que, pour ma part, je ne savais pas que ce délire à la Hemingway perdurait… La guitare est acoustique, élégante, émouvante et juste dans le vibrato de chaque note, la limpidité de chaque accord. La chanteuse est d’une voix juste et pure, quelque part entre Joan Baez et Barbra Streisand. Pas mon truc habituellement, mais c’est plutôt agréable. Et leur alchimie fait plaisir à voir. Ils sourient beaucoup, soulignant l’importance de cette soirée pour leur duo: c’est la première fois qu’ils présentent leur spectacle dans un pays non anglophone.
Deux ou trois morceaux passent. Ils se font plaisir et nous entrainent peu à peu tranquillement dans leur sillon, avec une reprise d’une chanson pas très connue des Beatles par exemple (“Tell me what you see”). Ce groupe légendaire est en effet la grande source à laquelle May ne cesse de revenir, comme à une Bible. La version qu’ils livreront de “Something” est en tous points précieuse, inattendue avec l’élégance de cette guitare sèche qui entre les mains de Brian a parfois des grâces de harpe. Les reprises égrenées au fil du concert valent le détour du “Dust in the wind” de Kansas, à la céleste réinterprétation du “Knockin’ on heaven’s door” de Dylan, qui est poignante, grâce au minimalisme raffiné des arrangements choisis. Seul un clavier vient appuyer la guitare et la voix.
Et puis, il y a les retours à Queen qui font exulter la salle. “Somebody to love” revêt alors des allures de messe Gospel, où le public bat la mesure et fait les choeurs. Toujours ce côté ludique du public de Queen, prêt à sortir de sa réserve pour communier dans un hymne. C’est puissant, on chante à pleins poumons. La terre tremble. “39” fut également un très joli moment, morceau cher au docteur May, introduisant longuement sa chanson alambiquée. Une fois encore, le public le rejoint au refrain, à gorge déployée. Kerry Ellis apporte sa vulnérabilité à un composition de Freddie Mercury en hommage à Lennon, “Life is real” et donne à entendre cette chanson de fort belle manière. On renoue avec l’insouciance de “Crazy Little thing called love”. On se rend à l’émotion déchirante et posthume de “No one but you”.
L’ambiance se réchauffe. Elle atteint son paroxysme quand le guitariste est laissé seul sur scène. Il dit alors qu’il ne peut décemment pas continuer avec une simple guitare sèche. Il s’éclipse un instant en coulisses et en ramène l’instrument mythique qui participa à la grandiloquence du son de Queen. La six-cordes est acclamée à la hauteur de son rang, dans un tonnerre de cris. On reconnait son timbre entre tous et May entame son solo, connu sous le nom de “Last horizon” paru sur son album Back to the light. A ce moment quelque chose a changé, et la guitare écarlate sera régulièrement rappelée, notamment au terme d’une reprise réjouissante en version country de “Tie your mother down”, où le rock originel reprendra ses droits. Le public méticuleusement placé enverra l’ordre au diable, se lèvera et s’agglutinera au pied de la scène. Comme il se doit.
Il y eut une version singulière de “We Will rock You”. Brian May, entendant le bruit des piétinements des gens enthousiastes sur le plancher sonore de la salle, leur demande d’assurer la rythmique de la chanson. Et le morceau se déroule ainsi, dans la magie d’une petite salle, où l’on a toujours un peu l’impression de participer au concert. Il n’est pas rare que l’artiste réponde ou plaisante avec un audacieux du public. On est toujours surpris par ce lien, cette promiscuité qui se perd dans les stades sans âme.
Et puis avec Brian May, il y a surtout un moment passé avec un musicien qui n’a plus rien à prouver. Il prend juste du plaisir à jouer ses chansons, à piocher dans celles qu’il aime, dans son illustre répertoire comme dans celui des autres. J’ai eu un peu le sentiment de retrouvailles détendues, d’une belle réunion de famille où chacun se remémore avec délices et sans prétention de moments adorés. Evidemment ce n’est pas le plus grand des concerts. Evidemment ce n’est pas Queen. Mais ça ne cherche pas à l’être. C’est comme une soirée entre amis à chanter des chansons, à ranimer la flamme. C’était un moment émouvant, intimiste, concentré sur l’essentiel (dans la forme comme dans les arrangements).
On est sortis de la salle heureux, après plus de deux heures de bonne musique.
C’est tout ce qui compte.